Hatim BENJELLOUN

Tous les gouvernements y passent. Ici et ailleurs. Le bilan des 100 jours. Je ne m’attarderais pas sur le fond ni sur les réalisations de ce gouvernement. D’autres s’amusent déjà à analyser et décrypter, d’autres à supputer et à caricaturer. Ce qui m’importe c’est le bien-fondé de cette coutume, son intérêt pour la gouvernance des politiques publiques et son impact sur la vie politique de notre pays.

Tout d’abord, jusqu’à preuve du contraire, un bilan est censé venir en amont d’une action. Or, dans ce cas, il est demandé au gouvernement de présenter un bilan au début de la mandature, au bout de 100 jours. Elle est pourtant admise par consensus politique. Pourquoi 100 jours ? Avec quelques recherches, on peut trouver plusieurs origines à ce chiffre, devenu aujourd’hui tout aussi symbolique que marketing. Dans l’histoire moderne, il s’agirait d’une idée du président Roosevelt. Ce dernier l’aurait établi, dès son arrivée au pouvoir en 1933. La raison : il aurait faire preuve d’une remarquable efficacité durant les 100 premiers jours de son mandat présidentiel, aidé par le contexte de grande dépression. Un peu plus loin dans l’histoire, cette tradition remonterait aux 100 jours de Napoléon. « Elle fait référence à la brève période de trois mois au pouvoir de l’Empereur qui suit son évasion de l’île d’Elbe le 20 mars 1815. Ces événements, du vol de l’Aigle jusqu’à l’abdication définitive, sont au cœur de la légende napoléonienne », explique le Figaro. Il me semble que ces traditions outre-mer ne cadrent en aucun cas avec nos us et coutumes politiques et institutionnelles.

D’un côté, il est important de rappeler qu’« un programme électoral » d’un parti ne constitue pas véritablement un programme gouvernemental. Il est une somme d’intentions, décontextualisées du pouvoir et de la gouvernance publique réelle. D’un autre côté, à l’issue de la formation du nouvel exécutif, le « programme gouvernemental », présenté au parlement, s’apparente plus à un draft de projet. Conclusion : un véritable programme ne peut être élaboré qu’au bout de quelques semaines, voire quelques mois après la formation de la majorité gouvernementale.

Faisons donc preuve de réalisme et tentons d’imaginer, de manière extrêmement schématique, la chronologie d’un gouvernement nouvellement élu.

Phase 1 :face à l’atomisation du champ politique et la logique d’alliances et mésalliances qui menacent la majorité, tout nouveau gouvernement est engagé, dès les premiers jours de son mandat, dans des négociations partisanes, dans l’ajustement des vues et dans la convergence « idéologique ». Ces tractations, en coulisses, nécessitent au moins quatre à six semaines. Il convient de rappeler que le « Pacte de la majorité gouvernementale » n’a été signé que deux mois après le début de mandat du gouvernement Akhannouch.

Phase 2 : la gestion de la transition gouvernementale est un processus souvent très difficile. Il n’est jamais aisé de prioriser les dossiers entamés par l’ancien gouvernement. Ajouté à cela, les ministres se retrouvent dans une compétition effrénée pour la définition et la répartition des prérogatives ministérielles. Ainsi, des luttes politiques et administratives, autour de tel ou tel agence ou office public, viennent entraver le cours normal de l’action publique. Enfin, dans ce brouhaha, vient se caler le recrutement et la constitution des cabinets ministériels, censés être les maîtres d’œuvre de la vision ministérielle, en coordination avec les équipes administratives en place. Encore quelques semaines de plus…

Phase 3 :voilà les prérogatives définies, les équipes constituées et la « paix » politique installée, vient le moment du diagnostic et l’analyse des dossiers prioritaires. Consultations, concertations, réunions se suivent et se poursuivent pour identifier les leviers d’action. Comment, quand et avec qui, agir sur les différents sujets ? La coordination et la convergence sont généralement un travail de plusieurs mois et non de quelques semaines.

Phase 4 :le gouvernement démarre le processus de prise de décision et lance son plan d’action.

En résumé, en simplifiant et en éludant tous les aléas liés aux contextes sociaux, politiques, internationaux, sanitaires, etc., le bon sens nous dirait que 100 jours sont matériellement impossibles à tenir. Une contradiction qui va à l’encontre du sens commun. Si on ajoute l’hypothèse de la concomitance de ces phases, le process devient encore plus complexe face au chevauchement de certaines actions interdépendantes.

Il est donc évident que toutes décision politique effective que l’on afficherait durant les 100 premiers jours, n’est qu’une queue de comète, autrement dit, la conséquence de décisions prises antérieurement par l’ancienne équipe gouvernementale.

Peut-on réformer ce mode de gouvernance, basé sur une logique de résultat précipitée et donc vouée à dériver vers du marketing et de la communication ? Je propose modestement quelques pistes :

100 jours :le gouvernement présente son vrai programme, bien étudié et orchestré avec l’ensemble des parties prenantes en jeu. Ce programme doit être accompagné d’un rétroplanning détaillé avec des objectifs clairs, quantifiés dans l’espace et le temps. Les critères d’évaluation de l’action gouvernementale pourraient même être figés à ce stade (notamment par les deux chambres au parlement)

365 jours :le gouvernement présente les décisions prises et le processus de gouvernance qui s’y affère. Un réajustement des objectifs escomptés pourrait également avoir lieu.

Année 2 :le gouvernement présente un point d’étape avec les premières prémisses de résultats. C’est le bilan de mi-mandat.

Année 3 :le gouvernement affiche son premier bilan et le parlement établit une évaluation des résultats Vs les engagements pris.

Année 4 :le gouvernement réajuste ses actions, rééchelonne les priorités et prépare son bilan final.

Année 5 :le gouvernement élabore son bilan de mandat et prépare les prochaines échéances électorales.

Ces propositions n’ont rien de révolutionnaires. Elles répondent à un schéma classique de gouvernance d’un projet. Évidemment, cette logique est exempte des enjeux de pouvoir, de toute stratégie de communication et des vicissitudes politiques.

Ce processus aurait le mérite de la transparence, du réalisme et de l’efficience. La précipitation n’a jamais été un gage de succès. La « fast-democracy » a démontré ses limites partout ailleurs dans le monde. La communication politique ne peut être une fin, elle doit demeurer un moyen. L’agitation médiatique doit être, parfois ignorée et de temps en temps canalisée, pour répondre avec justesse aux interrogations, inquiétudes et espérances des Marocains.